Gioia Kayaga - Ensauvagement
« Cet ouvrage n’a été écrit ni pour apaiser, ni pour réconforter. Ce n’est pas mon rôle, pas ma mission, pas ma vocation et de toute façon, l’avons-nous vraiment mérité ? » Ces premiers mots annoncent directement le ton de cet ouvrage. Il s’agit d’un essai ou pamphlet dénonçant les inégalités, l’égocentrisme, les incohérences et absurdités de notre société. L’auteure ne mâche pas ses mots et ne nous ménage pas puisque comme elle le dit « nous ne sommes pas fragiles ». Elle laisse ici tomber les vers et les rimes de ses précédentes œuvres ; le but n’étant pas de produire quelque chose de joli mais quelque chose de parlant, de frappant, voire même de secouant. Cette artiste a bien conscience que ce petit livre de la colère ne plaira pas à tout le monde et que peu de lecteurs arriveront jusqu’au bout. Mais face à l’urgence de la situation écologique et des injustices sociales, elle ressent le besoin d’exprimer toute cette colère de la manière la plus crue qui soit. « Étant donné l’urgence actuelle, nous n’avons pas seulement besoin de gentil·le·s citoyen·ne·s qui font leur pain-maison et qui font pousser des tomates sur leur balcon. Pour changer le monde à temps, nous avons aussi et surtout besoin de grandes gueules téméraires, d’ensauvagé·e·s primitifs·primitives ; d’empêcheurs·empêcheuses de penser en rond et de dormir sur leurs deux oreilles ; de jeteurs.jeteuses de pavé dans les vitrines ; de pyromanes anticapitalistes ; d’enragé·e·s écologiques ». Cet ouvrage criant de vérité risque donc d’ébranler vos convictions, de heurter vos sentiments, mais il risque surtout de remettre en question vos habitudes et de vous pousser à devenir militant pour toutes ces causes essentielles à un monde plus juste.
Gioia Kayaga ne remet pas seulement en question notre société, mais nous propose ensuite l’utopie d’une société qu’elle voit comme idéale. Et elle fait mouche. Dans cette société, « la politique n’est plus une carrière, elle n’est plus rémunérée mais bénévole et volontaire », « il est interdit de vivre et dormir dans la rue, mais le camping en pleine nature est chaudement recommandé », « artiste est un métier au service de la société » et les « métiers et activités les plus valorisé·e·s dans la société sont tous·toutes ceux·celles qui ont trait à l’agriculture, à la récolte et au recyclage des déchets, au nettoyage ainsi qu’aux soins de santé ». Cette proposition de société en développement, constamment enrichie et adaptée à l’épreuve de la pratique semble si tangible qu’elle parait presque possible. Gioia Kayaga suggère d’ailleurs qu’il serait en fait tout à fait possible de transformer nos configurations si l’on parvenait à changer les mentalités, ce qu’elle essaye de faire au travers de ce rootleg. Elle conclut donc cet ouvrage avec une note d’espoir qui fait du bien, en insistant sur le fait que nous ne sommes pas là par hasard et en insinuant que nous sommes peut-être les clés de ce changement.
Impossible de parler de cette œuvre sans parler de son auteure puisqu’il s’agit de la représentation littérale de son cri de colère. Gioia Kayaga laisse d’ailleurs tomber son nom de scène "Joy Slam" pour cet ouvrage afin de laisser place à sa voix personnelle plutôt qu’à celle de l’artiste. Gioia Kayaga est née en 1990 à Dinant et devient enseignante de FLE avant de se laisser emporter par le slam et son rêve un peu fou d’en faire son métier. Elle publie alors son premier bookleg « L’arbre sans racines d’un pays sans soleil » aux éditions maelstrÖm en 2015 et poursuit avec la publication d’un livre CD « Tram25 » en 2016, de l’album « L’art de la joie » en 2019 et enfin de son rootleg « Ensauvagement » en 2020 pour lesquels elle remporte quelques prix. Elle commence alors à prendre le micro un peu partout en Belgique mais aussi à l’étranger, organise des micro-ouverts, des ateliers d’écriture et de slam auprès des jeunes comme des moins jeunes, met en scène de nombreuses spectacles, produit des vidéos pour l’émission « Paroles de femmes », performe dans les stations de métro bruxelloises, s’essaye au théâtre, à la danse et à la musique, milite activement pour de nombreuses causes et pousse parfois des coups de gueule sur les réseaux sociaux qui deviennent viraux. Elle est également membre fondatrice du collectif bruxellois Slameke, qui réunit une dizaine de membres actifs sensibilisant tous les publics à la discipline du slam. Mère de famille, baroudeuse dans l’âme et toujours en quête de nouvelles expériences, de nouvelles rencontres et de nouvelles connections, cette jeune artiste est insatiable. Et c’est tant mieux pour nous lecteurs, lectrices, spectateurs et spectatrices !
Aurore (01-05-2023)
Ensauvagement de Gioia Kayaga - site maelstrÖm
