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On ne s'excuse de rien ! Vol. 2
Tenir de Lisette Lombé
[English below]
Lisette Lombé est connue pour ses slams et sa poésie, mais également pour son militantisme.
Poétesse nationale pour les années 2024 et 2025, elle se sert de son art, allant du slam et de la poésie aux collages en passant par les performances, ainsi que de ses expériences personnelles pour aborder des thèmes importants bien trop souvent ignorés ou minimisés.
Le bookleg Tenir aborde avec justesse des sujets importants tels que le racisme, la brutalité policière, le sexisme, l’homophobie et les violences qui découlent de tous ces problèmes sociétaux. Mêlant collages et textes, ce livret nous offre une lecture qui fait réfléchir, qui questionne, mais surtout qui bouleverse et retourne les tripes.
Le premier chapitre, « Black Lazare », crée un parallèle entre Lisette Lombé et Semira Adamu, toutes deux nées en 1978, mais dont les vies et les parcours diffèrent. En effet, Semira Adamu, une jeune demandeuse d’asile nigériane, a été étouffée par des coussins par la police en 1998 alors qu’elle était rapatriée de force. Nous découvrons, tout au long du texte, la vie que menait Lisette Lombé alors qu’elle était âgée de 20 ans, l’âge auquel Semira Adamu a perdu la vie, jusqu’au moment de la mort de cette dernière, où leurs vies « se croisent » au sein du texte.
Elle a vingt ans, tu as vingt ans.
Elle est noire, tu es noire.
Elle est morte, tu es morte.
Morte vivante. Flicaille, flicaille.
Morte vivante. Black Lazare. Black Lazare.
(Tenir, p. 7)
« La famille » traite des violences sexuelles que les hommes infligent aux femmes, en restant la plupart du temps impunis. Ces femmes ayant subi abus et violences font partie d’une « grande famille », si grande qu’il est difficile de savoir qui exactement en fait partie. Le rythme, les allitérations et les répétitions créent un effet d’urgence et de rage.
La famille sans frontières,
au-dessus des lois, au-dessus de toi, au-dessus des droits.
Alors tu demandes combien ?
Tu demandes combien de femmes dans cette famille ?
Tu demandes combien de mères, combien de vagins empuantis ?
Tu demandes combien de tantines, combien de cousines pour un seul de ces mecs restés impunis ?
(Tenir, p. 14)
Le chapitre « Certains soirs, les femmes noires redeviennent des noirs… » aborde le thème du féminisme sous plusieurs angles. En effet, Lisette Lombé met l’accent sur l’importance de se nommer, d’être fière de son identité, de clamer haut et fort qui on est, et ce, sans honte ni sans se laisser traiter de « mauvaise féministe » ou de « radicale ». Elle mentionne également que la lutte féministe doit être intersectionnelle et inclure toutes les femmes. La nécessité de ne pas comparer les discriminations est aussi abordée, car toutes les expériences sont différentes ! Pour terminer, dans ce chapitre, elle souligne le refus de se laisser instrumentaliser ou d’accepter d’être appelée comme « quota-couleur ».
Nomme-toi ! Appelle-toi afroféministe, afrodescendante, afropéenne, afropunk, queer, artiviste… Avec ou sans majuscule, nomme-toi ! Pas dans une case, pas comme une cage mais pour la rage. Sois fière de ton parcours, de ta couleur, de tes origines ! Parle de là où tu es, de qui tu es, de qui tu aspires à être. Sois fière de tout, de tes questionnements, de tes ambivalences, de tes ressacs et de tes erreurs ! Ne t’excuse de rien !
(Tenir, p. 16)
En très peu de mots, mais avec beaucoup d’émotions, « Mon fils est gay » aborde le thème de l’homosexualité et du harcèlement subi au quotidien. Par le jeu sur les répétitions et sur le choix des mots, le texte secoue et bouleverse.
Mon fils est gay.
Il a appris que, dès le collège et au lycée,
Les meneurs d’ombres, les suiveurs nombres adorent traquer le petit gibier.
Les roux qui puent, les pauvres qui schlinguent, les grosses qui suintent et les baltringues.
Les fiottes sucées, les folles tentées, les ptis pédés
coquets, guindés, endimanchés.
C’est le swing des charniers !
Être tabassé, être humilié, être harcelé, sans se confier !
(Tenir, p. 21)
« Collages » est un texte qui rend hommage à Mawda Shawri, une petite fille âgée de seulement 2 ans qui a été tuée par une balle de police au mois de mai 2018. Ce texte aborde le ras-le-bol de l’accumulation. Quand elle n’en peut plus de voir des nouvelles dévastatrices, Lisette Lombé se tourne vers les collages, car [s]oit tu découpes des corps dans le papier glacé, soit tu t’enfonces la pointe de tes ciseaux dans l’œil. (Tenir, p. 24)
« Ça pue » insiste sur l’importance de ne pas abandonner, de tenir bon et de poursuivre la lutte même lorsqu’on a le sentiment que nos actions et nos paroles ne servent à rien et qu’elles n’ont aucun effet.
On relit nos anciens textes, on relit nos anciens poèmes, nos premiers, nos naïfs, nos sans artifices, textes des débuts, textes des aurores car eux seuls peuvent nous crier que nous ne sommes pas zinzin, pas ouin ouin, que nous ne sommes pas paranos, pas hystériques, que nous ne sommes pas folles.
Tenir.
(Tenir, p. 28)
Ainsi, je ne peux que vivement conseiller de lire ce bookleg, car Lisette Lombé trouve les mots qu’il faut pour aborder ces thèmes douloureux.
Mélot Léa, stagiaire
Avril 2024
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Lisette Lombé is known not only for her slams and her poetry, but also for her activism.
Belgium’s national poet for 2024 and 2025, Lisette Lombé uses her art – poetry and slam as well as collages and performances – and her experiences to address important topics that are too often silenced or downplayed.
The bookleg Tenir – one of maelstrÖm’s collections – deals accurately with important topics such as racism, police brutality, sexism, homophobia as well as the violence that results from these societal problems. Mixing collages and texts, this booklet makes us think and question things, but more importantly, it is powerful and gut-wrenching.
The first chapter, “Black Lazare”, draws a parallel between Lisette Lombé and Semira Adamu, both born in 1978, but whose life and journey differ greatly. Semira Adamu, a young Nigerian asylum seeker, was suffocated to death with pillows by the police in 1998 while she was being repatriated by force. Throughout this chapter, we discover Lisette Lombé’s life as a 20-year-old woman, the same age Semira Adamu was when she died, until both women’s lives sort of “cross” in the text.
“La famille” is about sexual violence inflicted upon women by men, often without being held accountable. These women are part of the “big family” – as Lisette Lombé calls it, a family too big to know who is in it. The rhythm, the alliteration and the repetitions create an effect of urgency and of rage.
“Certains soirs, les femmes noires redeviennent des noirs” deals with the topic of feminism viewed from different angles. Lisette Lombé stresses the importance of naming oneself, being proud of one’s identity and proclaiming high and loud who we are, without being ashamed and letting other people describe us as either “bad feminists” or “radicals”. She also mentions the fact that the feminist struggle has to be intersectional and therefore to include all women. The necessity of not comparing different kinds of discrimination is important in this text as all experiences are different! Finally, this chapter underlines the refusal of letting oneself being instrumentalized or being called in as a “color quota”.
In a few words but nonetheless with a lot of emotions, “Mon fils est gay” deals with the topic of homosexuality and the bullying endured on a daily basis. Thanks to the repetitions and the choice of words, the text shakes and moves.
“Collages” is a tribute to Mawda Shawri, a little girl who was only two years old when she was killed by a police bullet in May 2018. It addresses the discontent of accumulation. When Lisette Lombé cannot handle to see devastating news, she does collages because “either you cut bodies in paper, or you stick the tip of the scissors in your eye” (Tenir, p. 24 – my translation)
“Ça pue” highlights the importance of not giving up, holding on and continuing the fight even when we have the feeling that our actions and words are useless and have no effect.
I strongly advise everyone to read this bookleg because Lisette Lombé finds the right words to talk about these painful topics.
Léa Mélot, intern
April 2024
Bookleg #192 La Plaine
On ne s'excuse de rien ! collectif L-slam
Je suis la fille des sorcières qu’ils ont brûlées sur le bûcher,
J’ai hérité des flammes et de leurs âmes enragées parties en fumée. (« June », Joy)
Récemment, un client m’a demandé conseil à la boutique. Il avait vu que notre vitrine exposait pas mal de « livres de la colère » (Ensauvagement ou L’abécédaire de la colère par exemple) et souhaitait donc trouver un livre de ce genre, qui selon lui correspondrait à sa fille qu’il m’a décrite comme étant justement « en colère ». Assez naturellement, je l’oriente donc vers On ne s’excuse de rien ! du collectif L-SLAM. Il faut dire que je venais d’achever la lecture de ce recueil de poésie et slam et qu’il me faisait beaucoup cogiter. Engagé et férocement inscrit dans le temps présent, ce livre contient des témoignages de femmes auxquels il est facile de s’identifier. Il a réveillé chez moi des sentiments d’injustice ainsi qu’une volonté d’opposition, de révolution et de changement.
Le client est reparti avec l’ouvrage dans les mains, me laissant avec une nouvelle source d’interrogation. Est-ce que je l’ai bien conseillé ? Est-ce que On ne s’excuse de rien ! est vraiment un « livre de la colère » ? Au fond, qu’est-ce qu’un livre de la colère ? Quand j’y pense de façon abstraite, cette émotion a plutôt une connotation négative pour moi. Une personne en colère, c’est quelqu’un d’agressif, de violent, de méchant, non ? Et pourtant, la fille de ce client, je l’ai imaginée non pas comme un enfant qui faisait sa crise ou comme une personne mauvaise, mais bien comme une jeune femme révoltée face à certains aspects de la vie. Quelqu’un qui a peut-être du mal à se positionner dans la société, quelqu’un qui ne supporte pas de voir les injustices encore trop présentes dans bien des domaines. Une personne en colère, c’est aussi quelqu’un d’engagé finalement, quelqu’un qui veut changer les choses. Le sentiment de révolte, la dénonciation, l’engagement, tout ça peut avoir trait à la colère et être à l’origine de quelque chose de positif.
Vérifions un instant sur Internet. Le TLFi définit la colère comme une « vive émotion de l'âme se traduisant par une violente réaction physique et psychique ». C’est exactement ce que suscite la lecture du recueil. Personnellement, je me suis sentie tour à tour concernée, consternée, mais aussi révoltée et émue. Alors oui, On ne s’excuse de rien ! est un livre de la colère et j’ose espérer que la jeune fille telle que je me l’imagine y trouvera des échos à ses propre ressentis. Bien plus qu’un simple manifeste féministe, ce livre est une succession de 57 voix, 57 voix qui slament, qui clament la diversité, qui réclament la légitimité, mais surtout qui proclament leur liberté. C’est un cri du cœur, du corps et de l’âme. Difficile de rester insensible à ces femmes qui prennent la parole en même temps que le pouvoir. Ça sort des tripes. Ça prend aux tripes. Ça touche au plus profond. Vive émotion de l’âme.
Impossible de parler de ce recueil sans dire un mot sur L-Slam et son projet. Il s’agit d’un collectif 100% féminin qui réunit des poétesses et slameuses, aussi bien novices que plus expérimentées (Lisette Lombé, Joy…). Poussées par une forte valeur de solidarité, elles prônent l’émancipation des femmes et la valorisation de la diversité (sociale, religieuse, ethnique…) notamment via l’organisation d’ateliers et podiums de slam. L’objectif est de pousser les participantes à monter sur scène, à oser créer, s’exprimer, à s’affirmer et à en être fières. Dès lors, le titre du recueil prend tout son sens.
Les Vassilissa, les Semira, les Rosa, les Makeda, les Kahina, les Mathilda
Les Josette, les Lisette, les Marinette, les Colette, les Mistinguette
Les Anne-Marie, les Kiki, les Milady, les Lucies, les Calamity, les Fifi
Elles n’ont pas d’âge, ni pays
Elles qui autrefois
Elles qui demain
Elles qui aujourd’hui
C’est la symphonie des elles
C’est la sainte folie des elles
de celles qui nous donnent des ailes
Tu es l’une d’elles (« Indomptables », Anne Guinot)
Charlotte André (avril 2021)
Stagiaire
Notes
• En savoir plus sur le collectif L-Slam : https://www.facebook.com/LSlamWithHeartAndSoul
• On ne s’excuse de rien ! (2019), 15 €, disponible à la boutique Maelström (ou sur commande)
Bookleg #155 Tenir
Lisette Lombé
Lisette Lombé est une artiste afroféministe belgo-congolaise née en 1978.
Elle crée des objets poétiques (textes, collages, performances, installations) qui nous font voyager entre l’Europe et l’Afrique.
Depuis plusieurs années, elle partage son amour de la poésie en animant des ateliers d’écriture, qui l’ont conduite de la Belgique à l’Irak, en passant par le Congo, le Sénégal, le Canada, Haïti et le Maroc.
Fondatrice du Collectif L-SLAM, elle a été récompensée en tant que Citoyenne d’Honneur de la Ville de Liège pour sa démarche d’artiste militante.
Elle est l’autrice de deux livres — Black Words (l’Arbre à paroles coll. IF) et La magie du burn-out (éd. Weyrich) — qui croisent collages et textes de poésie. Elle a également coordonné le recueil collectif de slam : On ne s’excuse de rien ! paru chez maelstrÖm reEvolution.
Son 3e livre Venus poetica paraît à l’Arbre à paroles dans la collection IF le 14 février 2020.